de RGS le 08 Avr 2010, 02:49
LE MONDE
07.04.10 | 10h14 • Mis à jour le 07.04.10 | 11h42
L'allemand Daimler s'invite au sein de l'alliance Renault-Nissan
Bruxelles, envoyée spéciale
Pour sceller un accord entre un français, un allemand et un japonais, il fallait trouver un terrain "neutre". Ce fut Bruxelles. Mercredi 7 avril, Carlos Ghosn, PDG de l'alliance Renault-Nissan, et Dieter Zetsche, président du conseil d'administration de Daimler et directeur de Mercedes-Benz, ont signé un rapprochement industriel et capitalistique.
Fin 2009, les deux groupes avaient révélé l'existence de discussions. A l'arrivée, on est loin d'un vrai mariage. Il s'agit plutôt de solides fiançailles. L'objectif : être plus compétitifs en faisant des économies d'échelle et en partageant des coûts de développement.
A la clé, pour Renault-Nissan, un gain de 2 milliards d'euros. Daimler n'a pas donné d'évaluation. M. Zetsche a simplement souligné : "Nos talents se complètent parfaitement."
Des participations croisées. Pour cimenter cet accord, les deux groupes ont également annoncé un échange d'actions qui donnera à l'alliance Renault-Nissan une participation de 3,1 % dans Daimler. De son côté, le groupe allemand prend une participation de 3,1 % dans Renault et de 3,1 % dans Nissan. Ce montage ne modifiera pas les équilibres actuels au sein du capital de Renault : l'Etat reste à 15 % du capital et Nissan aussi.
Des petites voitures communes. Sur le plan industriel, l'accord concerne plusieurs projets d'envergure. Le premier concerne les petites voitures. L'objectif pour Daimler est d'abaisser le point mort de sa gamme (Smart, Classe A et Classe B) sur laquelle il aurait perdu, selon des estimations d'analystes, plusieurs milliards d'euros depuis 1997.
"C'est un secteur où Daimler est faible et en retard sur ses concurrents. Une alliance avec Renault est un pas dans la bonne direction", estime Marc-René Tonn, analyste automobile chez MM Warburg.
Les volumes de vente de ses petits véhicules urbains (115 000 Smart et 216 000 Classe A et Classe B en 2009) ne lui permettent pas de gagner d'argent.
L'accord prévoit que la Smart fortow (une quatre place) soit développée à partir de la base de la prochaine Renault Twingo. Les designs seront différents, mais sous la carrosserie, beaucoup d'éléments seront communs afin de réaliser des économies d'échelle. "Cela n'affectera nullement l'identité de chaque marque", précise M. Zetsche.
Le lancement de ces modèles développés en commun est prévu à partir de 2013. Ils seront fabriqués dans l'usine Renault de Novo Mesto, en Slovénie.
Pour la Smart deux places, elle reste assemblée à Hambach (Moselle). Mais, si Renault décide de lancer à son tour une deux places, c'est le site Smart, qui l'accueillera. Dès leur lancement sur le marché, ces modèles seront également disponibles en version électrique. L'intérêt de l'accord pour Mercedes est d'améliorer les performances de sa gamme en terme de rejet de CO2.
Des échanges sur les moteurs. L'autre grand volet de la coopération concerne la motorisation. Avec les nouvelles normes antipollution, développer des moteurs diesel et essence performants en consommation coûte très cher.
Renault-Nissan fournira à Daimler des moteurs (3 et 4 cylindres essence et diesel) pour sa future gamme de véhicules compact haut de gamme (Mercedes Classe A et Classe B). De son côté, Daimler fournira de gros moteurs essence et diesel à Infiniti, la marque de luxe de Nissan.
Enfin, Renault et Daimler travailleront ensemble sur les véhicules utilitaires. En 2012, Mercedes lancera un modèle d'entrée de gamme conçu à partir d'une technologie Renault. Il sera fabriqué à Maubeuge (Nord), de quoi sécuriser l'emploi sur ce site.
Nathalie Brafman
Article paru dans l'édition du 08.04.10
******************************************************************************************************************************************************************
LE MONDE
07.04.10 | 12h27 • Mis à jour le 07.04.10 | 14h45
Carlos Ghosn : "Cet accord va relancer la concentration dans l'industrie"
Carlos Ghosn, 56 ans, PDG des constructeurs Renault et Nissan, explique la logique qui a prévalu au rapprochement avec le groupe allemand Daimler.
Comment est née l'idée de cet accord ?
Carlos Ghosn : Daimler nous a contactés il y a un peu moins d'un an pour étudier une coopération sur le modèle qui succéderait à la Smart actuelle. Nous avons répondu que nous n'étions pas intéressés par un projet ne concernant qu'une seule voiture, mais qu'en revanche nous étions prêts à discuter d'un partenariat plus large.
Il y a exactement onze ans, Renault s'alliait avec Nissan. L'accord avec Daimler suit-il la même logique ?
La relation n'est pas de même nature. Avant toute discussion avec Daimler, Renault et Nissan se sont mis d'accord sur ce que chacun pouvait faire avec ce troisième partenaire. Il s'agissait d'abord de trouver un terrain d'entente au sein de l'alliance pour ensuite se poser la question des synergies avec Daimler.
Deuxième différence : contrairement à l'alliance Renault-Nissan, il n'y aura pas d'échange de management avec Daimler ni entre les conseils d'administration.
Troisièmement, nous n'envisageons pas de créer des usines ensemble, comme cela a été le cas pour Renault et Nissan, en Inde par exemple. En revanche, Daimler pourra utiliser des capacités de production de l'alliance Renault-Nissan et inversement.
Mais c'est plus qu'une simple coopération industrielle : on discute de plusieurs sujets à la fois et les sociétés échangent leur capital.
On peut toutefois coopérer sans échange capitalistique. Pourquoi y tenir ?
D'expérience, nous savons que les gens dans une entreprise ne sont prêts à partager leur savoir-faire que si cela s'inscrit dans la durée. Quand on n'en est pas sûr, le réflexe consiste à garder les informations pour soi, car du jour au lendemain, vos interlocuteurs peuvent se retrouver dans le camp d'en face. L'échange capitalistique donne une autre dimension, signifie que c'est du sérieux, du long terme.
Les équipes de Nissan ont-elles été plus difficiles à convaincre de l'intérêt de ce rapprochement avec Daimler que celles de Renault ?
C'est vrai que sur le sujet des synergies, il a fallu un peu plus communiquer au Japon. Côté Renault, travailler sur ce que l'on pouvait partager dans le domaine des petites voitures ou dans les petits moteurs était évident; côté Nissan, cela l'était moins. Mais une fois que les synergies ont été identifiées, il n'y a plus eu de débat.
Nissan n'a pas de moteurs diesel mais en a besoin pour le développement d'Infiniti [la marque de luxe de Nissan] en Europe. Sur cet exemple, l'apport est massif et direct. Par ailleurs, il y a du potentiel pour partager des plates-formes entre Infiniti et Mercedes. Cet accord va permettre à Infiniti d'accélérer son développement.
Quel impact aura cet accord sur le futur haut de gamme de Renault ?
Il va probablement permettre l'acquisition de savoir-faire. Mais je reste prudent. Il n'est pas évident que les coûts de production de Mercedes soient directement transposables sur le haut de gamme de Renault.
Daimler est un peu le champion des alliances ratées après les échecs avec Chrysler, Mitsubishi ou Huyndaï. Le groupe avait même tenté en 1999 de racheter Nissan, sans succès. Cela ne vous a pas effrayé ?
Nissan connaît effectivement bien Daimler, mais par rapport à 1999, les circonstances sont radicalement différentes. Lorsqu'on compare les volumes de vente, les chiffres d'affaires ou les capitalisations boursières, le rapport de force est plus équilibré. L'actuel dirigeant de Daimler, Dieter Zetsche, est justement celui qui a tiré les conséquences de ces rapprochements qui n'ont pas abouti. Cela est plutôt de nature à rassurer.
Est-il envisageable que la part des participations croisées augmente ?
Rien ne l'interdit. Si chacun des partenaires estime qu'il y a un intérêt à le faire, pourquoi pas. Dans quatre ou cinq ans, il y aura certainement une deuxième phase, mais cela dépendra des résultats que nous obtiendront d'ici là.
Le fait que l'industrie automobile se remette en mouvement signifie-t-il que la crise est terminée ?
En 2009, nous rentrions aux urgences; nous sommes aujourd'hui en convalescence. Mais, même au pire moment de la crise, nous n'avons jamais cessé de bâtir l'avenir. Evidemment, une opération comme celle-ci aurait été impensable il y a un an, cela aurait été pris pour de la dispersion. Mais, aujourd'hui, la fin de la crise se rapproche, probablement vers la fin 2010.
Cette opération va certainement relancer le mouvement de concentration dans l'industrie puisqu'elle va avoir des conséquences importantes sur le paysage concurrentiel. Aujourd'hui, les constructeurs doivent se développer simultanément sur la voiture électrique, l'hybride, être présent sur l'ensemble de la gamme et dans de plus en plus de pays. Je ne vois pas comment un constructeur qui ne produit que 2 ou 3millions de voitures peut faire face.
Grâce à l'accord avec Daimler, l'alliance Renault-Nissan se situe, avec Volkswagen et Toyota, dans le club fermé des constructeurs qui fabriquent plus de 7millions de voitures. C'est une façon de positionner pour l'avenir.
Propos recueillis par Stéphane Lauer
Article paru dans l'édition du 08.04.10
******************************************************************************************************************************************************************
LEMONDE.FR
08h54 • Mis à jour le 07.04.10 | 08h55
Automobile : "Partager des coûts de développement, sur le papier cela a du sens"
Gaëtan Toulemonde est analyste chez Deutsche Bank, spécialisé dans le secteur automobile. Il commente la portée de l'alliance entre Renault-Nissan et Daimler.
Est-que ce partenariat et ces prises de participation croisées entre Renault, Nissan et Daimler font vraiment sens ?
On est loin d'une opération de grande envergure comme Nissan l'a été il y a dix ans pour Renault. Renault a pris progressivement 45 % du capital de Nissan. Ici, il s'agit de petites participations minoritaires croisées, de l'ordre à 3 % à 5 % de chaque côté.
On verra au fil du temps si effectivement il y a affinité entre les trois groupes. Si les ingénieurs de Stuttgart, ceux de Billancourt ainsi que ceux de Nissan arrivent à s'entendre, arrivent à travailler correctement.
S'il y a affinité, peut-être ces groupes monteront-ils dans le capital les uns des autres à un niveau plus important. Le temps nous le dira. Il faut être sûr que ce genre d'accord a une logique avant d'aller plus loin.
Justement, est-ce que cela peut marcher avec Daimler, qui a raté tous ses mariages ?
Il est vrai que Daimler a connu trois divorces ces dernières années. Mais l'alliance Renault-Nissan est un bon exemple. Les gens sont à 10 000 km les uns des autres et, jusqu'à maintenant, cela a fonctionné. Même si les économies n'ont pas toujours été aussi importantes que ce que l'on aurait attendu.
On a aussi tendance à oublier le rapprochement entre Peugeot et Citroën. Il a fallu vingt-cinq à trente ans pour aboutir à une fusion, à un groupement. Et il s'agissait de deux groupes français, avec leur siège social en France, qui parlaient le même langage...
Maintenant que Renault et Nissan a fonctionné, peut-être que cela pourra aller plus vite avec Daimler au cours des prochaines années.
Le fait que ce soit un mariage à trois, est-ce que cela ne complique pas les choses ?
Si. Il faut qu'il y ait un management très fort pour pouvoir bien répartir les tâches entre les différentes parties. Pour être sûr que le 1 + 1 + 1 ne fasse pas que 1 et quelque chose seulement et que l'on n'ait pas une perte d'inertie, parce que chacun voudrait protéger son pré-carré.
Si on a des états-majors très convaincus du potentiel de ce type d'accord, c'est à eux de manager leurs troupes pour que cela aboutisse.
Est-ce que cette opération va contribuer à accélérer la consolidation du secteur automobile ?
Je ne sais pas. En tout cas, il y a des contraintes qui augmentent. De nouvelles technologies, comme l'hybride, l'électrique, se développent. De nouveaux marchés, dans les pays émergents, apparaissent.
Par ailleurs, dans les pays développés, les marchés n'augmentent plus. Aux Etats-Unis, on vient de 17 millions de véhicules et on retournera vers les 14 à 14,5 millions, mais on aura beaucoup de mal à aller au-delà. En Europe, on a été à 15 millions de véhicules. On est plutôt à 12 millions maintenant.
Un constructeur ne va pas pouvoir tout faire. Pour un généraliste, les frais de recherche et développement représentent 5 % du chiffre d'affaires. Sachant que les marges d'exploitation sont inférieures à 2 %, tout ce qu'on risque de dépenser en plus en frais de recherche et développement, on le retrouvera en moins sur la marge.
Pour les constructeurs, il faut peut-être penser les choses différemment. S'allier avec quelqu'un pour partager des coûts de développement ; sur le papier, cela a du sens.
On verra si les autres constructeurs vont suivre, ou considérer qu'il s'agit simplement d'un effet de mode et qu'il faut y résister.
Il y a quand même aujourd'hui quelques constructeurs qui disent que la taille critique se situe à 6 millions de véhicules produits, c'est-à-dire 10 % du marché mondial. A ce jour, il n'y a que quatre groupes qui disposent de cette taille : Toyota, General Motors, Volkswagen et Renault-Nissan-Daimler.
Est-ce que les autres vont suivre ou pas dans les rapprochements ? C'est la question pour les prochaines années.