de RGS le 14 Sep 2009, 04:16
LE MONDE
11.09.09 | 15h12
Après quatre-vingts ans passés avec GM, Opel tente un nouveau départ avec Magna
Berlin, Bruxelles Correspondants
Une page se tourne pour Opel. Après des mois d'incertitudes et de revirements, la marque allemande, propriété de General Motors (GM) depuis 1929, doit être vendue à l'équipementier austro-canadien Magna et au russe Sberbank. C'est Angela Merkel qui l'a annoncé, jeudi 10 septembre. "La patience, la détermination, la clarté de tous les services du gouvernement, et de moi personnellement, ont certainement contribué à ce qu'on en arrive à cette décision", s'est félicitée la chancelière allemande.
A quinze jours des élections législatives en Allemagne, le règlement de ce dossier était devenu déterminant : Opel emploie quelque 25 000 personnes dans le pays. Mais l'issue demeure incertaine : une partie de la direction de GM souhaitait garder Opel. Finalement, le constructeur américain conservera 35 % du capital, mais en cède le contrôle. Magna, associé à la banque Sberbank, qui contrôle le constructeur russe GAZ, détiendront 55 %. Les salariés devraient obtenir les 10 % restants. La nouvelle société bénéficiera de 4,5 milliards d'euros d'aides publiques. En s'émancipant de sa tutelle, le constructeur allemand referme le chapitre d'une coopération transatlantique tumultueuse. "C'est la promesse d'un nouveau départ pour Opel. Même s'il ne sera pas facile", a reconnu Mme Merkel.
Car le bilan n'est pas très bon. Le constructeur n'est plus, depuis longtemps, un fleuron de la technologie "made in Germany". Ses ventes n'ont pas cessé de décliner ces dernières années : sa part de marché outre-Rhin a été divisée par plus deux en l'espace de quinze ans, passant de 17 % à 8,4 %. Il pointe à la quatrième place du classement, derrière Volkswagen (VW), Mercedes et BMW.
Décennie noire
Qu'il semble loin le temps où Opel dominait le marché européen ! Dans les années 1960 et 1970, la marque au blitz ("éclair") accompagne l'essor de la classe moyenne allemande. Elle propose alors toutes les gammes, de la voiture de sport à la berline familiale, en passant par les petits modèles, sa spécialité. La Diplomat, la Kapitän et la Kadett font rêver les Allemands.
Mais le vent tourne. Dépassé par VW grâce à la Golf, Opel, peu à peu, perd pied. Les relations s'enveniment avec sa maison mère : GM, qui l'a sauvée de la faillite en 1929, est accusée de viser la rentabilité avant tout. Ce sont les "années Ignacio Lopez", du nom du célèbre "cost killer" ("coupeur de coûts") que le groupe américain place en 1987 à la direction des achats de sa filiale allemande. Surnommé "l'étrangleur de Rüsselsheim", l'Espagnol force les sous-traitants à comprimer radicalement leurs prix. Pressé de produire à moindre coût, le constructeur perd son label de qualité allemande. Ses voitures, autrefois si fiables, se mettent à tomber en panne. L'effet sur les ventes est immédiat.
Les années 1990 sont une décennie noire. Compliquée par la barrière de la langue, l'entente entre managers américains et allemands n'est pas facile. La valse des dirigeants s'accélère à Rüsselsheim, le siège historique d'Opel. Absente du segment haut de gamme, la marque affronte la concurrence des Asiatiques et de VW pour les petites voitures.
Si elle a fait des efforts sur la fiabilité, ses modèles souffrent d'une image vieillissante. "Pendant trop longtemps, Opel a produit des véhicules honnêtes, mais sans originalité, sans créativité", souligne l'expert automobile Ferdinand Dudenhöffer. "Les Américains ont géré de loin, ils n'avaient pas l'intuition de ce qui convenait au marché européen", renchérit Frank Schwope, analyste chez Nord LB.
Empêtré dans des problèmes de surcapacités et de pertes comptables, le constructeur se voit imposer une série de plans sociaux douloureux. Entre 1996 et 2008, le nombre de ses salariés en Allemagne passe de 46 000 à 26 000. Le ressentiment à l'égard de GM est à son comble quand, en 2005, le groupe dépossède sa filiale allemande de tous ses brevets, l'obligeant à payer un droit de licence pour ses propres véhicules. Jusqu'au bout, néanmoins, Opel a cru en son avenir : Berlin ne pouvait pas laisser tomber une entreprise qui fabrique des voitures depuis 1899 en Allemagne. Et puis, l'Insignia, la berline familiale, exclusivement produite à Rüsselsheim, n'a-t-elle pas été élue voiture de l'année 2009 ?
Plan d'urgence
Olivier Burkhard, responsable du syndicat en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, met en garde contre une trop grande euphorie : "Nous ne nous faisons pas d'illusion. Même avec Magna, ce ne sera pas une mince affaire. Mais au moins, cela va dans la bonne direction."
De son côté, RHJ International, la société de droit belge, filiale d'un fonds d'investissement américain, candidat au rachat d'Opel, avait compris depuis plusieurs semaines que son offre - même améliorée récemment - serait écartée. L'hostilité du gouvernement et des syndicats allemands était trop forte, même si le groupe avançait des garanties quant au maintien des implantations, sa volonté de s'engager à long terme et son expertise dans le secteur automobile. RHJ affirmait aussi qu'il maintiendrait l'indépendance d'Opel s'il parvenait à racheter le constructeur.
Même si elle est basée à Bruxelles, la société ne défendait pas le maintien de l'implantation d'Anvers, qui emploie 2 600 personnes et assemble le modèle Astra. Cette usine semblait condamnée dans toutes les hypothèses. Les frais liés à la fermeture du site d'Anvers auraient été chiffrés à plus de 300 millions d'euros par Magna, affirme un magazine économique belge. Le gouvernement régional flamand espère, dès lors, qu'une négociation est encore possible pour éviter une fermeture totale. Un plan d'urgence a été mis au point par l'agence régionale flamande de l'emploi.
Marie de Vergès et Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 12.09.09.
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Un équipementier canadien parti de rien
Magna a été créé il y a cinquante ans à Toronto par un Autrichien, Frank Stronach, alias Franz Strohsack, arrivé au Canada avec 200 dollars en poche. Ironie de l'histoire, GM, si hostile pendant longtemps à l'offre du Canadien, a été à l'origine de la fortune de Magna. C'est le constructeur automobile qui avait signé en 1960 un premier contrat avec l'équipementier pour la fourniture d'attaches de pare-soleil, permettant à la petite entreprise, lancée trois ans plus tôt, de prendre son envol.
Après de multiples acquisitions, Magna emploie aujourd'hui 70 000 personnes dans 25 pays. Mais l'équipementier a livré la bataille pour s'emparer d'Opel alors qu'il traverse, comme ses concurrents, une période délicate en raison de la crise de l'automobile. Malgré ces difficultés, Magna garde les moyens de ses ambitions : il dispose de 1,7 milliard de dollars (1,16 milliard d'euros) de liquidités et d'une ligne de crédit inutilisée de 1,8 milliard de dollars.