Hugues a écrit:Song to Song est un film sur les vies manquées ou entraperçues, mais non saisies, aveuglé par le quotidien.
Mais non en tant que regret, non en tant que nostalgie. Mais en tant que lumière pour éclairer sa vie.
Un film sur les aubes, les aurores qui éclairent la vie, même quand elles portent une douleur en elles.
Le quotidien se manifeste ici par l'ambition, la réussite, les plaisirs immédiats.
Le plus émouvant sans doute dans le film, c'est que d'une certaine manière ce discours quitte presque complètement les mots.. ce n'est plus discrètement et habilement suggéré derrière quelque pensée en surface naïve d'une voix off, ici très prosaïque*.. Non, tout est dit à travers la forme... (Bon Silverwitch, non le style de prise de vue n'a pas changé.. c'est qu'il aurait fallu remonter il y a plusieurs années pour cela) Par forme j'entends ici le montage...
Je ne suis pas historien du cinéma, je me trompe peut-être mais à mon sens, le montage de ce film est quelque chose de tout à fait inédit. Toi qui entre en ce film, abandonne ici toute idée de chronologie. Le montage est tout entier porté par sa course endiablée (c'est qu'il y a souvent du rock aux oreilles) vers son plan final, vers l'évidence et l'essentiel de ce plan final. Un plan qui raconte une aube, une aurore. Et qui est à la fois un deuil.
Tout le film cherche cet essentiel, comme un esprit étranger au monde qui ferait l'expérience désordonnée de l'existence et de l'âme. Sautant de temps en temps, d'âme en âme (from Soul to Soul). Les débuts sont des fins et les fins sont des milieux. Les milieux sont des début. Etc.. Il bégaie sur certains instants, ou plutôt ce qui semble des répétitions ne l'est pas, c'est un déploiement de l'instant sur tout le film, car c'est l'instant d'avant ou d'après qui ressurgit.
Il a parfois été écrit que le cinéaste texan défrichait un nouveau langage cinématographique (je l'avoue, moi aussi, j'ai été coupable). Mais ces mots apparaissent bien exagéré poru les films qu'il qualifiait quand finalement c'est celui-ci, guidé par le seul sentiment plutôt que le temps qui apparait comme une réalisation unique. Non parce que le cinéaste aurait une ambition demesurée, mais simplement parce qu'au contraire, en toute humilité, ne parvient pas sur ces derniers récits à s'exprimer d'une autre manière.
Paradoxalement, peut-être parce que les personnages suscitent plus d'empathie chez le spectateur que les deux précédents films, il est possible que ce film en dépit d'une forme plus complexe, singulière, fracturée que jamais, soit un peu mieux accueilli.
En revanche, toute forme de popularité est inimaginable: des films comme Le Nouveau Monde ou L'Arbre de Vie furent à leur niveau populaire parce qu'ils étaient accessible par leur forme (même si alors ça n'était pas ce qu'on écrivait alors.. mais rétrospectivement..).
Ici c'est un puzzle, un kaleidoscope génial... une chanson d'instants et de pensées qui riment.
Et qui pourtant nous raconte intelligiblement l'enchevêtrement de 4 vies (voire 6).
Hugues
*: Mais peut-être les mots m'ont échappé. Gentiment la projection avait vu son volume monté pour mieux accueillir une connaissance, qui est malentendant, en l'absence de tout sous-titrage. Or le souffle présent dans les murmures des voix-off, à haut volume, les rend moins intelligibles.
Pour revenir très vite, sur Song to Song. Si il faut le dire explicitement, oui, c'est un chef d'oeuvre. Et pourtant un film, peut-être parfois difficile à traverser parce que volontairement dérangeant le regard, parce qu'il s'agit de nous ouvrir à l'idée que le beau n'est pas forcément ce qui attire.
Un chef d'oeuvre qui presque tout entier tient en ces quelques vers:
For Mercy has a human heart
Pity, a human face:
And Love, the human form divine,
And Peace, the human dress.Tout cela révélé derrière la vulgarité (au sens de banalité) de quelques vies entremêlées...
Hugues