Le comédien Philippe Caubère blanchi des accusations de viol
Publié le lundi 18 février 2019 à 20h54
par Sara Ghibaudo
INFO FRANCE INTER | Le parquet de Créteil a classé la plainte pour viol déposée en mars, en "l’absence de charges". La plaignante, Solveig Halloin, avait notamment donné aux enquêteurs les noms de quatre femmes qui, selon elle, pouvaient corroborer ses accusations de violences, ce qu'elles n'ont pas fait.
Près d’un an après avoir été accusé de viol et d’agression sexuelle, Philippe Caubère est aujourd’hui blanchi, selon une décision de classement sans suite, particulièrement détaillée, que Le Monde et France Inter ont pu consulter. Le parquet de Créteil constate que "les accusations portées par Mme Halloin sur le comportement violent [de M. Caubère] ne sont corroborées par aucun élément objectif", comme un certificat médical ou des SMS. Solveig Halloin maintient ses accusations. Mais, contrairement à ce qu'elle avançait, aucune autre femme n'a, à ce stade, témoigné avoir subi des violences de la part du comédien.
La plaignante a reconnu pendant l'enquête qu’elle n’avait jamais exprimé son refus de la relation sexuelle qu’ils ont eue en 2010. Elle a mis son manque de réaction sur le compte de "l’emprise" que le comédien aurait exercé sur elle, qui se rêvait comédienne ou dramaturge. Mais pour le parquet, "l’admiration professionnelle, voire la fascination, que Mme Halloin vouait à M. Caubère ne peut, s’agissant d’une relation entre adultes, être considérée comme une emprise intellectuelle, l’ayant privée de son libre arbitre, constitutive d’une contrainte au sens pénal".
Leur brève relation s’était nouée en février 2010. Après une rencontre, à l’issue d’un spectacle de Philippe Caubère à Toulouse, ils entrent dans un jeu de séduction, par SMS et mail. Le comédien affirme qu’il se souvient à peine de ce qui fut pour lui une rencontre d’un ou deux soirs, et se défend de toute violence. Dans sa plainte déposée le 13 mars 2018, Solveig Halloin relate avoir subi un premier soir une agression sexuelle chez le comédien, près de Paris. Puis avoir été violée, début mars 2010, après avoir rejoint Philippe Caubère pour dîner à Bézier, où il se produisait, et l’avoir suivi dans sa chambre d’hôtel.
Le comédien, que nous avons rencontré, raconte que ces accusations ont été pour lui "très difficiles à vivre". Le 18 avril dernier, plusieurs médias (Le Point, Le Parisien) révèlent qu’une enquête est ouverte. Très vite, sur Internet, c'est une déferlante. "Il y a eu je crois 174 articles en deux jours ! Je ne suis pas habitué, dans mon travail quand j’ai une page ici ou là je suis plutôt très content", remarque, un peu amer, le comédien. L’année précédente, son Molière du meilleur acteur n’avait pas eu un tel retentissement.
"Ils doivent se dire, bon, on va voir jouer un violeur !"
Deux jours plus tard, avant de remonter sur scène au théâtre de la Liberté, à Toulon, Philippe Caubère s'adresse au public : "Sans doute, ce soir, ça va être un petit peu plus difficile pour moi", prévient-il. "Je me suis dit : il y a pas mal de gens dans cette salle qui ont dû lire un journal et qui doivent se dire, bon, on va voir jouer un violeur !".
Aucun sifflement dans la salle. Pas davantage à Montpellier en juin. Ni à Avignon, où Philippe Caubère préfère toutefois reprendre un spectacle bien rodé ("Le bac 68") plutôt que la création prévue. "Au bout d’un mois, j’ai craqué. Je devais recréer 'Avignon 68', et je me suis dit, c’est pas possible, j’y arriverai pas."
Le comédien, qui vit de ses créations, seul en scène, craint de voir sa réputation durablement ternie. L'enquête, elle, met un peu de temps à démarrer. La plainte est envoyée de Béziers à Paris, puis est confiée à la police judiciaire de Créteil (Philippe Caubère habite dans le Val-de-Marne).
Dans une vidéo publiée par le Huffington Post, la plaignante Solveig Halloin témoigne de "l'emprise" qu'elle dit avoir subi. "C’est vrai que j’aurais dû avoir le courage de parler", explique-t-elle dans un sanglot (…) "Je me suis dit à moi-même que si une femme parlait, tout de suite je parlais derrière. C’est pas arrivé, malgré le mouvement #metoo."
Alors c'est elle qui sur un réseau social lance un appel "aux centaines de victimes de Caubère". Aux policiers, Solveig Halloin a cité quatre noms de femmes qui auraient selon elle subi des violences sexuelles de la part du comédien. Les enquêteurs tentent de les contacter. Trois d'entre elles réfutent totalement ces accusations. La dernière n'a pas été localisée, mais selon le parquet, "l'étude de ses correspondances avec M. Caubère, versées par son conseil, établissait une relation heureuse, ne dénonçant aucune violence physique sexuelle ou psychique".
Parmi les femmes citées par Solveig Halloin, il y a Clara (le prénom a été changé), une ancienne petite amie de Philippe Caubère. Lors de son audition, Clara, que nous avons rencontrée, tombe des nues. "Évidemment que je n'ai jamais été accrochée à un radiateur, ou violentée… Je peux témoigner de tout l’inverse, de sa tendresse, sa passion, sa douceur."
Comme la jeune femme a vécu deux ans avec Philippe Caubère, un peu avant qu’il ne croise Solveig Halloin, les policiers l’interrogent sur d’autres faits allégués par la plaignante, toujours plus horribles. "Elle l’accuse d’avoir fait tuer des prostituées, de l’avoir fait lui-même, c’est complètement du délire. Et c’est très grave. Pour moi c’est important ce mouvement de libération de la parole de la femme, du coup être mêlée à une dérive tragique comme celle-là, ça m’a fâchée, vraiment, quel dommage !"
Pour l'avocat de Solveig Halloin, "on remet toujours en cause la parole des femmes qui portent plainte"
Ces scènes de meurtre, de torture, que la plaignante a décrit, Philippe Caubère n’en prend connaissance que le 20 novembre. Il est convoqué pour une audition, "que j’ai attendue très longtemps avec un mélange d’impatience et d’angoisse", dit-il. Après quelques heures d’interrogatoire au commissariat de Créteil, les deux enquêteurs l’emmènent pour la perquisition de son domicile. "Ils regardaient la description que la plaignante avait donné de mon appartement, à quoi cela correspondait, où était la chambre de torture", se rappelle Philippe Caubère. Le comédien leur montre ses photos "de femmes à poil" : des esquisses de Rodin ou une photo de Marilyn Monroe. Pas de trace d’une salle de torture, "comme je leur ai dit : vous savez, tous les journalistes de théâtre de Paris connaissent mon appartement, il fait 42 mètres carrés".
Les policiers ont saisi son téléphone et son ordinateur, qui ont été expertisés, et sur lesquels aucune image de violence ou contenu pédo-pornographique n'ont été retrouvés. L'enquête est donc classée. Mais l'avocat de Solveig Halloin, Jonas Haddad, n'exclut pas de relancer sa plainte, en demandant la désignation d'un juge d'instruction. "Ma cliente maintient ses accusations. Elle ne se serait jamais risqué à porter plainte si elle n’avait pas eu un nombre important de contacts avec des personnes, qui lui confirmaient à la fois le mode opératoire, et qui lui décrivaient des scènes similaires (…) Elle me dit qu’elle est complètement essorée psychologiquement, et que malheureusement elle a l’impression que c’est le sort qu’on réserve à un certain nombre de femmes qui portent plainte, notamment dans ces affaires d’agressions sexuelles, on leur fait endurer une procédure très lourde, dans laquelle on remet toujours en cause leur parole".
Pour Marie Dosé, l’avocate de Philippe Caubère, cette histoire montre au contraire le danger de "la course au buzz" : "On est face à quelqu’un qui va raconter n’importe quoi pour exister médiatiquement. Il y a une cascade de responsabilités. Là, des micros se sont tendus pour considérer que le simple fait qu’une femme dise 'bonjour, j’ai été violée par celui-ci', était suffisant pour constituer une information digne de faire la une de leurs journaux. Chacun sa déontologie, mais les avocats aussi. Ce sont d’abord des auxiliaires de justice, et leur rôle, c’est de ne pas exposer une cliente qui est un peu fragile." Depuis l’année dernière, Solveig Halloin est régulièrement invitée sur des plateaux télévisés, pour dénoncer la prostitution, ou comme porte-parole d’un mouvement baptisé "Boucherie Abolition" (qui compare l’élevage à l’esclavage ou à la Shoah…).
"Cela m'a atteint profondément"
Au fond, Philippe Caubère dit qu'il n'a jamais vraiment eu peur de ces accusations, mais qu’il n’oubliera jamais. "Cela m’a atteint profondément. Pour moi ça été très difficile à vivre, douloureux... C'est pas seulement par rapport à moi, mais par rapport à la cause des femmes ! [...] Moi je n’ai connu dans ma vie que la domination féminine, et je m’en suis fort bien accommodé ! Celle de ma mère, celle d’Ariane Mnouchkine [NDLR: la directrice du théâtre du Soleil, Caubère fut un des piliers de la compagnie entre 1970 et 1977], celle de Véronique ma femme, qui est une patronne… Y a une chose dont je ne me suis jamais accommodé, c’est la domination masculine."
Philippe Caubère s'est réfugié dans le travail, et les répétitions d’"Adieu Ferdinand", qu’il reprend en mars. Pour digérer cette épreuve, il se dit qu'il lui faudra sans doute en faire le matériau d’un de ces prochains spectacles. Véronique Coquet, son épouse et productrice, a un autre souci : le calendrier de la prochaine tournée est à peu près vide. Entre la défection du théâtre de Toulouse, et la crainte d’entendre "Où ça en est, votre histoire ?", elle avait préféré suspendre la programmation. La "patronne", comme l'appelle Philippe Caubère, va pouvoir reprendre les choses en main.
Le reportage de Sara Ghibaudo écoutable en bas de la page est aussi digne d'intérêt.